HACCP : ce qu'il faut
savoir sur les microbes
Contenu :
Principes généraux
Qui sont les ennemis ?
On ne tue pas les microbes !
Le critère de température
Les intrants
Le critère de qualité de l'aliment
Le critère de temps
Note de l'auteur : j'ai constitué l'essentiel de ma culture sur le sujet en lisant le joural La Cuisine Collective, que je vous recommande.
Attention, ceci n'est pas un cours de microbiologie, il peut contenir des erreurs ou des imprécisions. Ces pages tendent à vous donner en accéléré une culture qui devrait vous aider à comprendre l'essentiel des mécanismes. Pour des informations précises et fiables, cherchez de meilleures sources !
Principes généraux de la démarche HACCP
Hazard Analysis and Control of Critical Points :
Analyse des Risques et Contrôle des Points Critiques
La démarche HACCP trouve sa source dans le travail de la NASA qui cherchait à ne pas voir ses fusées se planter trop souvent. On ne commentera pas ici que l'agence spatiale américaine détient tous les records en termes de pertes de véhicules spatiaux, habités ou non, en nombre absolu comme en pourçentage des vols. Bref !
L'idée force est l'obligation de résultat. Vous pensiez être un fonctionnaire parfait parce que vous savez bien manier le parapluie ? Désolé, maintenant que vous êtes gestionnaire, ça ne suffira plus ! Tout au plus cela vous évitera le plus désagréable dans un premier temps. Si vous envoyez des gamins à l'hôpital, on vous le reprochera, de toutes manières et dans toutes les circonstances. C'était un extrait de la page "principe général de l'intendance n° 1 : éviter à tout prix de devenir intendant".
Retenez bien le terme démarche. En effet, HACCP n'est pas un ensemble de règles, mais un état d'esprit dont il faut vous imprégner et imprégner vos collaborateurs. Pour l'imprégnation, j'ai connu un collègue qui saoulait ses ouvriers les vendredis soirs, ça marchait pas mal, mais ce n'est pas sans risque.
Le personnel de cuisine doit apprendre à penser à tout moment, à tout endroit et à tout propos : ce que je fais là est-il de nature à mener à l'empoisonnement de tout ou partie des convives de l'établissement ? Une manière possible est de noter le degré de danger sur une échelle de 1 à 10.
Il n'y a pas de zéro, hormis la fermeture du service !
A part les profs, l'intendant a comme ennemis quatre principaux types de microbes qui cherchent à se multiplier dans la savoureuse nourriture que nos restaurants scolaires préparent. Si le microbe s'est suffisamment développé, il pourra déclencher une TIAC. Ce n'est pas le nom d'un organisme de crédit, ça veut dire Toxi-Infection Alimentaire Collective. Retenez le principe de base : plus c'est lent, plus c'est dangereux. Les horaires ci-dessous s'entendent avec le repas infecté pris à 12 h 30.
Incubation 6 heures : A 16 heures, les WC sont encombrés de gens qui se tiennent le ventre à deux mains : vous avez affaire aux coliformes fécaux. Cela vient presque systématiquement du personnel de cuisine qui ne s'est pas lavé les mains après avoir été, heu, vous avez compris où, et c'est pas très agréable comme perspective. Concrètement, c'est la plus fréquente, la plus impressionnante et la moins grave des TIAC. Vous allez passer une très mauvaise fin de journée.
Incubation 12 heures : Au milieu de la nuit, les gamins pleurent et se font dessus dans tous les sens : ils ont mangé à midi un plat infesté de staphilocoques. Ces petits microbes sont présents assez naturellement sur la peau, sont réputés pour se multiplier dans le riz cuit par exemple. Une fois installés en colonie dans les intérieurs, ils sont difficiles à déloger. A forte dose, ils peuvent envoyer de jeunes enfants vers un monde meilleur. Demain matin à huit heures, en arrivant au boulot, vous ne serez pas fier (encore moins si vous avez passé la nuit vous-même sur le trône).
Incubation 24 heures : Bingo, vous tenez une salmonellose,
ou peut-être une listeria. Là c'est assez grave, il y a
des morts tous les ans, en général dans les maisons de retraite.
Si la bébête est diagnostiquée vite et bien traitée
(antibiotiques), on s'en sort après cinq jours au lit avec une fièvre
carabinée, très affaibli.
- La salmonelle est assez célèbre dans les oeufs : comptez qu'un
oeuf sur mille est statistiquement infecté. Ca ne veut pas dire qu'en
mangeant des oeufs vous avez une chance sur mille d'y passer ! Mais si on fait
le mariole avec une préparation à base d'oeuf, là oui.
Et s'il y a 100 oeufs dans votre préparation, vous êtes à
une chance sur dix...
- La listeria est en fait assez rare, c'est un germe tellurique qui se développe
facilement dans les produits laitiers (mal tenus à température),
mais qui devrait en être toujours absent. S'il y en a, c'est très
souvent parce qu'il y a eu croisement entre de la chacuterie (dans laquelle
elle est tolérable) et des fromages, par exemple coupés avec le
même couteau sur la même planche.
Incubation 48 heures : C'est très rare, mais là vous allez douiller : c'est un neurotoxique. Pas besoin de décrire l'effet de ces produits sur le cerveau des élèves de nos collèges, déjà passablement affaibli par le Loft et Starac'. Le bacille botulique, le plus célèbre, est une bébête anaérobie : il n'aime pas l'oxygène. C'est un germe à développement relativement lent, qu'on rencontre en général dans des conserves de produits carnés mal stérilisés. Si la boîte de conserve est bombée, qu'elle contient manifestement une importante surpression, il est plus sage de tout balancer sans même envisager de finir de l'ouvrir, n'est-ce pas ?
Tout HACCP consiste à laisser ces petits animaux à leur place, et à ne pas les laisser croître et multiplier.
Les microbes sont des durs à cuire, foi de cuisiner ! Concrètement, nous sommes des êtres vivants, et nous mangeons des êtres vivants, n'en déplaise aux plus intégristes des végétariens. Il n'est donc pas envisageable d'avoir une alimentation entièrement stérile, pure. La pureté est une connerie, toutes les victimes "d'épurations ethniques" vous le confirmeront.
Si l'on considère que les microbes sont partout, alors, comment fait-on pour survivre dans ce monde de brutes ? Tout simplement en agissant en bons disciples de Machiavel : on en prend un pour taper sur l'autre. A l'heure où j'écris, il y a une myriade de bestioles qui s'agitent dans tous les sens dans mes intérieurs intimes, en train de m'aider à assimiler l'excellent repas servi tout à l'heure par la femme que j'aime. Parmi ces bestioles, il y a des vilains coliformes, tout plein, d'affreux staphilocoques, probablement même des salmonelles, et je vous assure que je me sens très léger.
La flore intestinale, pour infréquentable qu'elle soit, est une jungle où chacun doit rester à sa place, sous peine que tout le système se mette par terre. Si vous buvez de l'eau javellisée alors que vous n'y êtes pas habitué-e, vous aurez la tourista, parce que le chlore aura fatigué plus telle souche de microbes que d'autres, qui se seront pris pour les chefs. C'est la même chose si vous n'êtes pas habitué-e au piment et que vous testez la cuisine coréenne sans précautions.
La TIAC, c'est quand on donne à manger des milliards de microbes, en colonies toutes fraîches et fringantes, à nos convives. Ces touristes vont s'imposer, le seuil de tolérance sera dépassé, ça sera une invasion, d'où le bruit et l'odeur (j'adore citer notre Président de la République, toujours de bon goût, intelligent et subtil). Et oui, manger du concentré de microbes n'est pas sain. Franchement, éviter cela n'est pas insurmontable.
En revanche, quand le microbe est là, ne rêvez pas, sauf en mélange avec de la javel dans la poubelle, vous ne le tuerez pas. La seule chose à faire est de ne pas laisser les microbes faire comme chez eux.
Ne soyez pas obsédé par le problème des intrants, ne cherchez pas à éliminer toute trace de microbe partout, assurez-vous surtout du contrôle strict des températures, avec une attention renforcée sur les aliments à risque. Considérons que ce n'est jamais une seule c.rie qui est à l'origine d'une TIAC, mais presque toujours une avalanche d'incuries, de fautes et d'incompétences. En chassant toutes les c.ries, même s'il en passe une de temps en temps, vous n'enverrez probablement personne à l'hôpital.
C'est le point central de la lutte contre les TIAC. En effet, tout est plus difficile en matière de maintien de le température en collectivité, du fait des masses d'aliments manipulés. S'il est nettement plus dangereux de faire à manger pour 200 personnes que pour une famille de quatre, c'est que l'on ne sait jamais vraiment si, au centre de la casserole, la température est de 98° C ou bien de seulement 58° C. Bref, c'est plus compliqué. Voyons cela du plus froid au plus chaud
La température est un enjeu majeur de la maîtrise d'une démarche HACCP. Dans cette optique, les appareils de mesure de la température doivent être nombreux, adaptés, fiables, simples d'emploi. De manière à démontrer les efforts réalisés en matière de sécurité alimentaire, les relevés de température doivent laisser des traces écrites.
Il faut limiter l'entrée des germes dans la cuisine. C'est une étape importante de la démarche HACCP, mais à laquelle les personnels ouvriers donnent parfois une priorité fétichiste. La cuisine est réservée aux personnels portant les vêtements adaptés. Il est essentiel de se laver les mains souvent, (un bon lavage des mains, c'est long, très long !) de ne pas faire entrer n'importe quoi dans la cuisine (déconditionnement dans une zone prévue à cet effet), de diviser l'espace en secteurs spécifiques au travail des différents produits, de respecter autant que possible la marche en avant : les produits sains ne doivent pas croiser le chemin des poubelles.
Dans certains cas bien précis, on peut cependant considérer que les intrants nous angoissent suffisamment pour que l'on leur fasse une chasse impitoyable. Par exemple, sachez que l'on peut acheter du jaune d'oeuf en poudre. Utilisé pour la mayonnaise, il vous garantit l'absence de salmonelles qui pourraient se trouver sur la coquille d'oeufs frais.
La bétise à ne pas faire, c'est d'imaginer que, en ne faisant rentrer dans la cuisine que des produits stérilisés, javellisés, industriels, le problème est résolu, et que tout se passera bien. De toutes manières, du point de vue économique, c'est intenable. Et puis, l'intrant n°1, c'est ce qu'il y a sur les mains du personnel de cuisine.
Les qualités propres à l'aliment
L'aliment que vous ne voudriez pas voir infecté, c'est l'aliment du microbe, mais c'est aussi son lieu de vie. Certains aliments sont propices au développement microbien, d'autres ont été conçus pour éviter cela.
Les aliments riches ou pauvres
Un aliment riche en matières nutritives directement assimilables, si
possible variées, sera plus appétissant pour monsieur Microbe.
Il préfèrera largement un hachis parmentier à une feuille
de laitue. Plus votre aliment est nourrissant, plus il faudra le surveiller.
Les produits animaux sont les plus concernés, viandes, oeufs et
laitages.
Les aliments humides ou secs
Les microbes ont besoin d'un milieu aqueux pour vivre à l'aise. Dans
l'huile par exemple, sans eau, ils n'ont aucun avenir, pas plus que dans le
sucre en poudre. On considère l'eau disponible dans le produit.
Les aliments plus ou moins sucrés
ou salés
L'eau disponible est celle qui n'est pas déjà saturée de
sel ou de sucre : ainsi le saucisson ou la confiture sont-ils protégés
par leur séchange, leur concentration.
Les aliments neutres ou acides
Du pH des aliments dépend aussi l'hospitalité qu'ils fournissent
aux germes. On ne mange pas de produits basiques, ou alors ils le sont très
faiblement (cas de la pomme de terre). Mais si le pH d'un aliment descend en-dessous
d'une certaine acidité, il devient invivable pour le microbe, et encore
consommable par nous (on l'encaisse assez bien, comme nous l'enseigne le pH
des boissons gazeuses : inférieur à 3 !). D'autre part, le pH
s'entend par rapport à l'eau disponible. Si l'on prend l'exemple de la
mayonnaise, le très peu d'eau qu'elle contient sera porté à
un pH inférieur à 4 si l'on lui ajoute un bon jus de citron.
Les aliments contenant un antiseptique
Le piment, le poivre, le gingembre, en fait une bonne partie des épices,
à des degrés divers, ont des propriétés antiseptiques.
Leur présence dans la nourriture va dans le bon sens, même si elle
ne règle pas les problèmes, loin de là. Aux concentrations
qu'utilise la cuisine française, c'est sans influence mesurable. L'alcool
est antiseptique aussi, d'où la bonne conservation des boissons alcoolisées.
Là encore, il en faut une certaine concentration pour que cela joue,
et ici je m'adresse à de respectables gestionnaires de cuisines d'établissements
secondaires.
Les aliments contenant leur propre flore
microbienne
Dernier cas d'aliments se protégeant d'eux-mêmes contre les germes,
citons ceux qui font occuper le terrain. L'exemple-type est le yaourt : il est
tellement infesté d'acidophilius que tout autre germe qui tenterait de
s'y installer serait impitoyablement combattu. Et d'ailleurs il ne trouverait
plus grand chose à manger que l'acidophilius n'ait déjà
consommé ; pour finir le yaourt est passablement acide et cela en dissuade
plus d'un. C'était histoire de dire que le yaourt est un aliment sain
et sûr ; bien sûr il faut respecter les DLC, mais si à la
maison vous en avez oublié un deux jours de trop, ne tremblez pas !
A contrario, un aliment stérile est très exposé
au développement de germes qui y tomberaient, dans l'application de la
règle "premier arrivé, premier servi".
Avec ce panorama, vous vous rendez déjà compte qu'il y a pas mal de produits dont il ne faut pas avoir peur, si votre personnel respecte le strict minimum d'hygiène. Concentrez-vous sur les produits à risque, c'est ce que veut dire la démarche HACCP. Produits à risque : toute la pâtisserie, les préparations à base de viande hachée, certaines sauces...
Les microbes sont comme les agents comptables : ils ont besoin de temps pour faire du bon travail. Comme les comptables aussi, si leurs conditions de travail sont mauvaises (température trop basse ou trop haute, manque d'eau, pH trop acide, présence d'antiseptiques ou de germes concurrents, imprimante foireuse), ils travailleront plus lentement.
Les biologistes ont mesuré les temps nécessaires à un germe pour se transformer en colonie qui dénature un produit. Pour passer de quelques centaines à plusieurs milliards, une poignée d'heures suffit. Une entrée préparée à 8 heures du matin avec des mains mal lavées, et conservée en chambre froide, sera contrôlée négative mais ne rendra personne malade. La même entrée laissée traîner à température ambiante jusqu'à midi mettra pas mal de convives le ventre à l'air !
Voilà pourquoi, outre tâcher de leur pourrir les conditions d'existence, il ne faut pas laisser le temps aux microbes. Dans cette optique, on ne doit même pas imaginer servir des restes, préparer des plats à l'avance. Un plat oublié à température ambiante dans un coin de la cuisine est à la source d'une portion significative des TIAC ! Voilà pourquoi il faut s'entendre sur l'organisation des lieux, l'agencement des surfaces de travail et de rangement.
La qualité n° 1 d'un cuisiner est sa gestion du temps, qui lui permettra de servir dans les conditions de cuisson idéales le repas à l'heure souhaitée. A tout moment, il doit savoir ce qui se trouve dans sa cuisine, et être capable de mettre par exemple une note de 1 à 10 sur le danger représenté par le produit.
Faites des descentes régulières en cuisine et demandez "ce truc c'est quoi, pourquoi est-il là et depuis combien de temps" etc. Le plus dangereux n'est pas ce que le personnel fait, c'est ce qu'il ne fait pas, les choses qui restent en attente on ne sait pas trop comment ni pourquoi.
Des questions ? Des critiques ? J'attends vos réactions à cette adresse, et j'y répondrai aussi vite que possible !